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Vibrations communicantes

Ça bouillonne : « Savoir bien se nourrir est aussi important que savoir bien compter et écrire »

Anciennement directeur de recherche émérite de l’Inrae, Pierre Feillet est membre de l’Académie d’agriculture et de l’Académie des technologies. Il concentre aujourd’hui ses recherches sur le triptyque alimentation, technologie et société.

Il explore les questions d’alimentation à travers la science autant que par l’histoire et la sociologie. Anciennement directeur de recherche émérite de l’Inrae, Pierre Feillet est membre de l’Académie d’agriculture et de l’Académie des technologies. Il concentre aujourd’hui ses recherches sur le triptyque alimentation, technologie et société. Pour Vibrations Communicantes et les Journées Nationales de l’Agriculture, il nous partage son regard sur les enjeux de l’éducation au mieux manger.

Comment la perception de l’alimentation a-t-elle évolué dans l’histoire ?

Le regard des consommateurs sur leur alimentation a évolué fortement depuis l’après-guerre. A l’origine, les hommes ne voyaient dans les aliments que leur fonction biologique, notamment une source d’énergie, de force et une source de plaisir.
Au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale, de nouvelles préoccupations sont apparues progressivement. Les nutritionnistes ont recommandé de rechercher un bon équilibre entre les nutriments constitutifs des aliments : lipides, glucides, protéines, minéraux, vitamines. La notion d’hygiène alimentaire est devenue plus prégnante : « D’abord, ne pas me rendre malade en mangeant, et bien me nourrir en apportant le juste équilibre ».Jusque dans les années 70, les consommateurs ne se posaient guère de question. À condition d’avoir des revenus suffisants, c’était simple de faire son marché.
Dans les années 80 des composantes d’ordre environnemental ont commencé, timidement, à être prises en compte : « Me nourrir sans détruire la terre nourricière ».Eviter le gaspillage et limiter l’impact environnemental. Dans les années 90 les agriculteurs ont dû faire face à un nouveau défi : produire suffisamment pour nourrir les hommes tout en limitant les impacts environnementaux. Protéger la nature devenait une priorité. Sans oublier les enjeux de la juste rémunération des producteurs et de la souffrance animale. Et, bien sûr, veiller à ce que manger nous fasse plaisir !
La superposition de toutes ces contraintes a considérablement complexifié les choix et les décisions des consommateurs. Leur perception de l’alimentation a évolué et la manière de communiquer sur l’alimentation s’est transformée en conséquence.

Qu’est-ce que cela implique pour la communication à l’éducation alimentaire ?

La manière dont est perçu le système alimentaire est complexe. L’agriculture l’est tout autant. Communiquer en simplifiant est forcément approximatif. Mais pour être entendu, il faut être simple. Et cela créé un vrai dilemme : être simpliste, voire à la limite de la vérité, ou n’être pas entendu !
Il faudrait avoir le temps, l’espace et les conditions d’écoute suffisants pour introduire plus de pédagogie et de nuance dans la communication. Prenons le cas de la viande. Le message courant est « Manger de la viande nuit à l’environnement ». Pourtant, l’élevage de porcs et de volailles émet moins de gaz à effet de serre que l’élevage d’ovins et de bovins. De plus, des vaches élevées à l’herbe ont un bilan carbone bien meilleur que celles nourries de maïs et de soja importés. Ainsi, le bon message pourrait être : « Vous pouvez manger de la viande, mais plutôt issue de non ruminants, et si ruminants, plutôt élevés à l’herbe. »
S’il n’est pas possible d’apporter autant de nuance, il faut prioriser. Aujourd’hui, considérant que le problème majeur est le réchauffement climatique (qui a un impact sur tous les autres paramètres environnementaux), il devrait être possible de simplifier les messages en se limitant à insister sur la nécessité de respecter simultanément un bon équilibre nutritionnel et un faible impact carbone. Les deux sont liés.
L’exemple de l’Ecoscore est aussi révélateur de la complexité de la communication environnementale. Avec 14 critères à évaluer, il est très complexe, voire impossible à calculer au cas par cas (sa valeur diffère d’une tomate à l’autre selon son origine). Alors que pour le Nutriscore les données sont fiables et validées. En effet, les tables de composition des aliments nous indiquent de manière précise la composition en nutriments des aliments, celle d’un beefsteak par exemple. Ces tables n’existent pas pour les impacts environnementaux. Pour avoir l’impact environnemental d’un beefsteak, il faut connaitre son histoire ! Ce qui est beaucoup plus compliqué.
Et puis, les recommandations doivent être adaptées à chaque âge, à chaque condition physique et même sociale. Il ne faut être ni directif, ni culpabilisant. Des parents qui ont peu de budget pour acheter des fruits et légumes ne doivent pas être stigmatisés sous le prétexte de mal nourrir leurs enfants. Plutôt que d’insister sur ce qu’il est préférable d’éviter de manger, il vaut mieux envoyer des messages positifs en communiquant sur ce qui est bon pour notre santé.
Au-delà des messages nutritionnels, il faut également expliquer comment sont cultivées les plantes, élevés les animaux et transformés les produits agricoles

Sur qui devrait reposer l’éducation alimentaire ?

L’éducation alimentaire passe très fondamentalement par ceux qui entourent les enfants. Et notamment par l’éducation au goût. Mais les parents ont peu de connaissance et les enseignants doivent beaucoup se renseigner par eux-mêmes. Ils devraient recevoir une formation spécifique. Les diététiciens ne sont pas suffisamment mobilisés par le monde enseignant. L’éducation nationale devrait considérer qu’il est aussi important de savoir bien se nourrir que de savoir lire, écrire et compter. « Un esprit sain dans un corps sain » !

Pierre Feillet a publié Pour une éthique de l’alimentation, apprivoiser la nature aux éditions Quae.